« Orion ! »
Serge se retourna vers moi et pointa sa canne à tête de dragon dans ma direction.
– Ne traîne pas dans les couloirs ! Nous devons rester ensemble, tu es mon apprenti.
Je lui souris, pas dupe pour deux sous.
– Tu veux surtout qu’on me voit à tes côtés.
Le vieil homme poussa un petit rire de contentement.
– Pas faux, pas faux. Ta réputation rejaillit sur moi. A mon âge, j’ai bien le droit d’être orgueilleux.
Ce qu’il appelait orgueil n’était qu’un goût immodéré de l’apparat et une science quasi parfaite des jeux de pouvoirs. Il savait quoi faire, quoi dire et quoi porter pour être bien vu au sein de l’initiative ARGÈS. Sur ce point, j’étais un mauvais apprenti, la faute à mon orgueil, prétendait-il, et à mon refus systématique de courber l’échine devant les puissants. « Ce qui te mènera soit dans un goulag, soit à la gloire » selon lui, « le chemin vers ces deux destinées étant extrêmement semblable ». Je devais, toujours selon ses dires, capitaliser sur mon nom de famille, Orion, car personne n’oserait s’en prendre à un homme nommé Orion. Mon prénom, en revanche, faisait trop « peuple » pour être pris au sérieux.
– Orion, tiens-toi droit ! me souffla Serge entre ses dents.
Une vieille femme maigre comme un clou, flottant dans un ample morceau de tissu lui servant de robe s’avança vers nous. Elle tendit ses bras nus, constellés de points noirs, comme si la peau avait brûlé par endroit, et Serge s’empressa de lui saisir les mains.
– Ma très chère Abigaël, les jours passées loin de vous sont des couteaux que l’on remue dans une plaie.
– Serge, j’ai lu votre rapport sur l’incident à Marseille, une merveille. C’est à ce jeune homme que nous devons cette réussite ?
– Oui, mon apprenti depuis un an et demi, Orion.
Je m’inclinais.
– Vous pouvez m’appeler Khalid.
– Je n’y manquerais pas, Orion. C’est votre première réunion à l’initiative ARGÈS ?
– Effectivement, je…
Une petite musique envahit les haut-parleurs.
– Ceci, Orion, signifie aux retardataires que nous sommes sur le point d’être réellement en retard, m’expliqua-t-elle tout sourire. Honneur aux jeunes, entrez, ajouta-t-elle en me désignant une double porte.
La salle était un amphithéâtre d’une centaine de place dont un peu moins de la moitié était occupé. Sur l’estrade, des hommes dignes et aux visages fermés avaient pris place derrière une table. Devant eux, des petits écriteaux désignaient leurs fonctions et leurs noms mais j’étais trop loin pour pouvoir les lire. Serge me pressa, me prenant le bras et m’invita à m’assoir à l’avant-dernier banc. Aussitôt, le brouhaha cessa alors qu’une porte près de l’estrade s’ouvrit. Une femme impressionnante, de plus d’un mètre quatre-vingt-dix, entra, deux dossiers sous le bras. Elle portait une étonnante robe de soirée rouge et des chaussures aux semelles de la même couleur. Elle jeta ses dossiers sur la table, regarda l’assistance et prit la parole.
– Qu’est-ce que l’initiative ARGÈS ? demanda-t-elle à l’assistance.
Quelques bras se levèrent, elle les ignora, regardant les volontaires à la réponse avec un certain mépris. « Ce n’est ni un cours, ni un dialogue » crus-je entendre dans ma tête.
– L’initiative ARGÈS est une initiative mondiale dont le but est de gérer la transition entre le monde d’aujourd’hui et celui de demain. Ce comité que je préside coordonne l’action de nos enquêteurs sur place et veille à l’équité de traitement entre nos peuples. Messieurs, mesdames. A partir de ce jour, ce comité est dissous. Le jour est venu. La transition est à l’ordre du jour. Il est temps de révéler au monde que les vampires existent et qu’ils sont parmi nous.