Éric Viennot, parce que
C’est un album à malice, un album à merveille. L’oncle Ernest, c’est un personnage, toujours en partance, toujours en aventure, qui nous envoie des billets chiffrés, des énigmes corsés. Dans son album, les animaux sont vivants, les mécanismes sont magiques, les trésors sont entre nos mains. Le mystère ? Omniprésent. On plonge dans les aventures de l’Oncle, on le cherche, on le guette, on espère l’apercevoir, on souhaite qu’il toque à notre porte. Et petit à petit, il s’imprime en nous sans que l’on s’en aperçoive et, adulte, nous voilà devenu des Oncles Ernest. Des hommes et des femmes curieuses, aux questions sans fin, assoiffés de réponses, assoiffés de rencontres. Le monde est un terrain de jeu, dangereux, hostile parfois, mais avec Ernest, on en perçoit le fabuleux, on en perçoit la beauté. On voit les flammes qui brillent dans le cœur des autres. On entend leurs petites musiques.
Jack Lorsky et Karen Gijman, deux reporters, enlevés par le Phoenix, énigmatique tueur en série, assassin sans pitié. L’agence de presse qui les emploie demande de l’aide au public et muni d’un CD crypté, voilà que les volontaires font assauts de déductions, de recherches sur internet, de mise en relation. On reçoit des mails des alliés, de ceux qui cherchent avec nous à démêler les liens de cette affaire qui plonge ses racines loin, loin dans l’histoire du monde. On reçoit aussi des mails et des SMS du tueur, de ce Phoenix qui nous menace à mesure que l’on s’approche de la vérité. Oui, c’est un jeu, oui, c’est du chiqué. Mais recevoir, quand on ne joue pas, un SMS en début de soirée du Phoenix nous alertant qu’il n’est pas loin de notre porte, cela fait son petit effet. Jack Lorsky et Karen Gijman : le masque tombe bien évidemment, on les reconnait. Ce sont les héros de nos enfances. Baroudeurs, aventureux, courageux. Ce sont ceux qu’on a espérés être, enfant, plongé dans les aventures de Rouletabille, de Dupin, et de tous les autres. Ce sont de puissants échos pénétrant notre réalité.
Les aventures de l’Oncle Ernest et In memoriam ont un homme en commun : Eric Viennot. Auteur, scénariste, réalisateur de jeux vidéo, cet homme que je n’ai jamais rencontré a façonné mon imaginaire et mon goût d’histoires impeccables et imbriqués. Et il a fait ceci non seulement pour moi mais pour tous ceux et toutes celles qui se sont immergées dans ses créations, des plus anciennes à la plus récente – cette quête de l’homme qui rêvait dans une langue inconnue, géniale immersion où les frontières entre réalité et fiction sont si fines que je n’ai cessé de me demander ce qui était vrai, ce qui ne l’était pas.
Je suis qui je suis grâce à cet homme inconnu et à son influence majeure dans mes goûts, mes écritures. Il m’a donné la soif de cette aventure, cet immense besoin de curiosité, de questions sans fin. Les faits étranges, les coïncidences, les bizarreries qui peuplent notre monde, je les vois grâce à lui.
Éric Viennot est mort il y a quelques temps. Je ne veux pas me souvenir de la date, je ne veux pas. Je n’en vois pas l’intérêt. Éric Viennot n’est pas mort. Il vit dans l’imaginaire qu’il nous a laissé, il vit à travers moi, il vit à travers les joueurs qu’il a touché.
Il vit à travers les yeux de celles et ceux qu’il a ouvert.
De toute façon, les gens qu’on aime ne meurent jamais.
Les hommes que l’on admire sont immortels.
Lorsque j’ai eu la chance que l’on me confie une émission radio, je n’ai pas réfléchi une seule seconde, ce fut un réflexe. J’ai dit « Éric Viennot » pour le premier invité. Ce fut le deuxième. C’était quelques mois avant la sortie du livre « In memoriam » et la première partie de « L’homme qui rêvait dans une langue inconnue ». J’ai tenté de masquer mon admiration, mon excitation, mon respect. De rester « pro ». J’espère ne pas avoir réussi.
Je republie ici son interview.